mardi 22 décembre 2009
Sérurier, vous le délivrerez !
« Sérurier, vous le délivrerez »
Domenico Pizzamano n'en revient pas encore en lisant la petite phrase écrite de la main même de Bonaparte, général en chef des armées françaises en Italie. Quatre mots qui le libèrent après cent-septante-six jours d'incarcération sans l'ombre d'un procès.
A l'approche de la passe du Lido, les eaux de la lagune se montrent récalcitrantes. Mais il n'en démord pas. Pizzamano insiste auprès du gondolier pour passer devant le Fort de Sant'Andrea. Les choses ont bien changé en six mois. Les gonfalons de Saint Marc ont disparu. La couleur des uniformes est autre. Bientôt les soldats de Bonaparte qui s'affairent sur la plate-forme de l'édifice fortifié où un lion de marbre semble tendre misérablement l'échine seront remplacés par les troupes de l'Empereur d'Autriche. Il y a neuf jours à peine, dans la propriété du dernier doge, le château de Passariano près de Campoformio en Vénitie, Bonaparte livrait la Sérénissime au comte Louis de Cobentzel.
C'est ce que lui a raconté ce matin l'évêque de Trévise, un proche parent, venu le sortir des geôles de Murano, sur ordre de Sérurier, gouverneur français au nom ô combien approprié en ce jeudi 26 octobre 1797. La prison et les galères comme ultime bagage.
Et pourtant Pizzamano, un des rares patriciens à s'être porté volontaire dés juin 1796 pour la sauvegarde de la ville, nommé commandant du fort de Sant 'Andrea par le député Nani, lui Pizzamano s'était vu saluer par l'ensemble du Sénat comme un héros deux jours après les événements du 20 avril.
C'était également un jeudi.
Treize bâtiments armés, orphelins de pavillons avaient été signalés croiser dans les eaux du golfe. Pizzamano était aux aguets. Vers les seize heures, suivi de près par deux navires, le bâtiment français le «Libérateur de l'Italie» commandé par le jeune et intéressant lieutenant de vaisseau Jean-Baptiste Laugier se dirige vers le port à pleine voile.
Par ordre du Sénat, l'entrée du port de Venise est, de tous temps, interdite à tous navires étrangers en arme. Pizzamano envoie légitimement deux embarcations pour intimer l'ordre au commandant Laugier et à ses trente-trois membres d'équipage de faire immédiatement marche-arrière.
Et les versions de diverger.
Je vous livre la vénitienne...
D'après la défense vénitienne, Laugier, qui au préalable avait forcé Menego Lombardo, vieux pêcheur de Chioggia à monter à bord pour le piloter entre les écueils de la passe, refuse effrontément d'obtempérer. Pizzamano ordonne en guise d'avertissement deux bordées d'artillerie. Les deux vaisseaux qui suivaient le « Libérateur d'Italie » rebroussent chemin, tandis que Laugier s'empêtrant dans la flotte vénitienne commence à faire feu obligeant les vénitiens à riposter. L'équipage d'une galiote d'Esclavons harponnée par le vaisseau français donne à l'abordage.
Laugier et quatre de ses marins sont tués lors de l'assaut. Le reste de l'équipage dont huit blessés est fait prisonnier. Le pauvre Lombardo qui n'a pas eu l'occasion de se présenter mourra deux jours plus tard des suites de ses blessures. Le « Libérateur de l'Italie » est pillé et coulé. Cinq blessés sont à déploré du côté des vénitiens.
Quelque soit l'exactitude des versions, l'affaire Pizzamano est la goutte de trop, quelques jours seulement après les sanglantes Pâques véronaises.
« Vous et votre Sénat êtes dégoutant du sang des français ! »
Bonaparte exige l'arrestation immédiate de Pizzamano, celles des inquisiteurs d'Etats et la libération de tous les prisonniers politiques.
Il ne reste plus à l'antique République de Venise que 23 jours à vivre.
Conscient de la valeur de soldat de Pizzamano et à la requête de Sérurier, Bonaparte donne l'ordre, vers la fin octobre, de le libérer.
Pizzamano regarde une dernière fois les trois arches bosselées du fortin de la passe du Lido. Sa gondole glisse péniblement vers Venise. Une Venise qu'il ne reconnaitra pas.
Né à Corfou le 6 mars 1748, le dernier commandant vénitien du fort de Sant'Andrea s'éteint le 12 décembre 1817 des suites d'une longue maladie.
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Merci pour raconter l'histoire du dernier héros de la Sérénissime. Après avoir étudié pendant des années l'histoire de Venise, il me semble impossible que les Vénitiens du temps, ils se sont rendus à Napoléon presque sans combattre. Les Vénitiens se sentent encore tristes à propos du comportement du Sénat de Venise en 1797. Un vrai Vénitien n'aurait jamais cédé sans combattre. Heureusement Daniele Manin a rétabli l'honneur à Venise en 1848-49.
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