Permettez-moi ce petit capriccio...
Si je me souviens de l'Osteria della Cerva !?!
Tu te moques, l'ami !
C'était il y a pas si longtemps.
En 1740.
La pièce principale, large et peu profonde, restait fort sombre malgré les torchères et les chandelles de suif qui bavaient sur les tables en faisant capricieusement gambiller les grosses poutres en robinier.
Y vagabondaient nonchalamment d'énormes jambons dont les couennes épanchaient leurs larmes sans se soucier des clients. Un obsédant relent d'ail vous dardait les yeux, un fumet de poisson vous forçait les narines, agréablement ou pas selon les jours, selon l'humeur du patron, Guglielmo Berninza.
Le sior Berninza était partout à la fois.
En cuisine où il corrigeait l'assaisonnement du brouet et l'indolence de ses tournebroches.
Au comptoir où d'une main il coupait un peu trop le refosco et de l'autre tripotait le pétard de sa donzelle.
En salle où il virevoltait adroitement entre les bancs serrés.
Jusque dans la corte où d'un grand coup de savate il bannissait les quelques ivrognes trop causant avec la Marietta.
Marietta, sa bourgeoise dont la gorge généreuse épousait savamment le galbe des dames jeanne qui encombraient le bar, se contentait des additions.
Tous les jeudis soir, j'y retrouvais Salomé.
Les quelques fois où sous la table,
toujours la même, au fond à droite, près du comptoir,
ses genoux serraient étroitement les miens, je savais sa semaine féconde, je devinais enflammée la nuit à venir.
Est-il donc déjà si loin ce temps béni ?
Aujourd'hui, je tremble dans ce sinistre bivouac, au fin fond de cette glaciale Valsugana enneigée en guettant les velléités de l'autrichien.
Si je me souviens de l'Osteria della Cerva, l'ami ?
Je me demande si d'une main le Sior Berninza coupe toujours un peu trop le refosco et si de l'autre il tripote toujours le pétard de sa donzelle ?
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