jeudi 29 mars 2012

...et ils l'ont tué

Permettez-moi ce léger capriccio pour Ezra Pound et l'hieratic head de Gaudier Brzeska


252
Calle Querini.
Rio della Fornace.
L’ambulance patiente.
Les infirmiers ronronnent.
Pound a décliné la civière.
Sans faux pas,
canne au poignet.
L’Ospedale San Giovanni e Paolo.
Minuit.



San Giorgio Maggiore, 1972.
Trois novembre soleilleux.
Bénédiction.
Saint Benoît,
choeur de bois;
chef argentin,
Georges le Saint.

Ta gondole en fleurs
le bacino en lenteur.
Absolution.
From boat to boat est ailleurs.
Le ponte dei morti
d’Italo ton ami,
n’est plus le porte-à-porte
des âmes et feuilles-mortes.



Dans les jardins de San Giorgio Maggiore,
la tête du poète.
Signée Isamu Noguchi.
Copie de l’oeuvre de Henri Gaudier-Brzeska.

Gaudier, Noguchi
...Vénitiens collatéraux


Henri Gaudier y est allé,
et ils l’ont tué,
Et ils ont tué une grande part de la sculpture…
(Canto 16)


Henri Gaudier-Brzeska
Ponte dei Morti


http://blog.tate.org.uk/?p=6180


dimanche 11 mars 2012

Sonia Kaliensky, favorite des Dieux...(3 et fin)

Permettez-moi ce petit capriccio
en trois billets, histoire d'alléger votre lecture.
Remontez le temps. Entrez dans la peau du vice-commissaire Spinelli.
Vous êtes de service ce mercredi 6 février 1907, fin d'après-midi.



-Vous dites, Dottore?
-Je vous disais que ceux qui disparaissent dans la fleur de l’age sont les préférés des Dieux.
-Je ne vous savais pas familier d'Homère.
Pouvez-vous lui clore les paupières et m’aider à redresser la malheureuse. Il me semble qu’il y a quelque chose sous sa hanche droite. Une poupée...
Une petite poupée vêtue de rose.
-Dans le monde parisien, cette particularité porte un sens bien précis interrompt alors l’inspecteur Scarpa entré silencieusement dans la chambre.
-Un sens bien précis?
-C’est du moins ce que m’a affirmé Alazabal. Il reste encore quelques jours à Venise. Le temps du carnaval. A votre disposition, si besoin est.
Autre chose, Commissaire. Les brancardiers de la Croce Azzura demandent la permission d’enlever le corps pour la mortuaire.
-Très bien. Faites-les entrer, Scarpa. Qu’ils recouvrent la petite avec le peignoir peloté au bout du lit.
-Tenez, Spinelli, ce petit sac à main enfoui sous l’oreiller.
-Faites voir, Dottore. Une clé. Vraisemblablement celle de la malle. Plus intéressant, ce billet: “Pepi Strega, gondola 128, San Marco”.
-Commissaire, il y a là sur l'athénienne ce télégramme en français, adressé à une certaine Signorina Vieste, résidant à Dresde. Egalement ces deux lettres: une pour un baron Bruelberg à Stockholm et l’autre pour le consulat de Russie. Elle implore le Consul de prévenir sa mère de sa mort. Per amore ... pour un amoureux bien connu d’elle, a-t-elle écrit. Et voici une photo. Probablement celle de l’homme responsable de ce beau gâchis.
-Montrez voir Scarpa.
Si vous en avez terminé ici, faites mander Monsieur le Consul De Soundy et retrouvez-moi ce Strega. Même si l'affaire semble évidente, ce gondolier pourra peut-être nous en dire davantage.
-A vos ordres, Commissaire!

Je me dirige vers la fenêtre.

L’homme de la photo est élégant. Le teint ardent. Les yeux de bistre. La moustache souriante. Une signature: Eduardo Garcio.

San Giorgio Maggiore a disparu. Quelques fanaux s’agitent et se croisent sur les eaux du Baccino. En bas sur le quai, j’aperçois les brancardiers quittant le Danieli. A peine si quelques badauds jettent un regard distrait sur la civière recouverte du peignoir de Sofia Kaliensky, noble russe de vingt et un an.

Je reste là, roide.
La nuit drape à présent entièrement les feux de la gondole de la Croce Azzura.

Je suis à cent lieues de me douter que dans quelques mois, une autre femme de noblesse russe viendra hanter mes nuits jusqu'à la fin de mes jours.
Je suis à cent lieues d’imaginer m'abîmer dans l’affaire Tarnowska


Fin




samedi 10 mars 2012

Sonia Kaliensky, favorite des Dieux...(2)



Permettez-moi ce petit capriccio
en trois billets, histoire d'alléger votre lecture.
Remontez le temps. Entrez dans la peau du vice-commissaire Spinelli.
Vous êtes de service ce mercredi 6 février 1907, fin d'après-midi.



-Qui a découvert le corps?
-Un ami de la victime, Carlos de Alazabal. Américain ou Argentin. Il attend votre inspecteur dans le bureau du directeur. Ce Carlos est venu rendre visite à sa jeune amie. N’obtenant pas de réponse, il a poussé la porte. Pris de panique, il s’est mis à crier que la dame se mourrait. La femme de chambre et un porteur ont constaté l’urgence de la situation. Un chasseur a été immédiatement envoyé à mon cabinet. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour la garder en vie. Elle s’est éteinte de longues minutes plus tard sans reprendre connaissance.
Vous désirez mon avis, Spinelli, elle ne voulait pas nous revenir.
-Suicide ?
-Cela fait peu de doute. Mais venez voir par vous-même.

Putelli m’entrouve la porte et me laisse pénétrer le premier. La pièce est sombre. De lourds rideaux de velours jaune rognent San Giorgio qui s’enfonce dans l’obscurité. Sur une duchesse brisée, une somptueuse robe moussone sous les étincelles mordorées d’une lune crue de février. A l’arrière du bas fauteuil, une grande malle.

-Voici les deux flacons de laudanum, que j’ai trouvés vides sur la table de chevet. Ils portent les étiquettes d’un pharmacien de la Piazza san Carlo de Milan. Le concierge du Danieli m’a souflé que ses effets ont été envoyés par le Grand Hôtel de Milan où elle aurait logé quelques jours. Mais je ne crois pas le laudanum responsable de sa mort. Je pencherais plutôt pour une importante absorption de morphine.
Vous m’écoutez, Spinelli?
Spinelli!

Je suis devant la jeune Sofia.
Une infinie tristesse incendie ses yeux béants. Un dernier prénom soufflé, une ultime présence réclamée ont laissé ses lèvres fragiles désaccouplées.
Elle est délicieusement belle. Ses longs cheveux blonds déliés inondent l’oreiller et déferlent sur ses épaules nues. Une légère nuisette de satin rose peine à dissimuler les pousses de ses seins en fleurs. La soie églantine me raconte des hanches nerveuses et des jambes graciles. Un pied découvert montre des ongles lissés rouges-sang.
Aucun autre ornement.
Dans le creux de sa main négligement relachée, une alliance en or avec cette simple inscription en français: “J’aime. 1 octobre 1906”.

-Les favoris des Dieux meurent jeunes, Spinelli!


A suivre ...





vendredi 9 mars 2012

Sonia Kaliensky, favorite des Dieux...(1)


Permettez-moi ce petit capriccio
en trois billets, histoire d'alléger votre lecture.
Remontez le temps. Entrez dans la peau du vice-commissaire Spinelli.
Vous êtes de service ce mercredi 6 février 1907, fin d'après-midi.

Milan.

-Il en sera selon votre désir, Mademoiselle.
Le pharmacien Sporati bien en courbettes referme la porte. Derrière la vitre de son officine, il regarde l’élégante dame blonde traverser rapidement la place San Carlo déserte et sibérienne.
-Giacomo!
-Signor Sporati?
-Prends ma pelisse et cours au Grand Hôtel.
Au portier tu remettras ce colis. Il est destiné à mademoiselle Kaliensky. Son nom est inscrit au dos de la carte.
Ne traîne pas. Je lui ai promis qu’elle aurait son achat dans l’heure.
-Est-ce la dame aux très beaux yeux qui vient de sortir, Signor Sporati?
-Oui Giacomo. C’est la dame aux yeux très beaux…
…Aux yeux très tristes, pensa le petit pharmacien.


Venise.

Le carnaval a remplacé la double porte d'acajou du Danieli par le tourniquet vitré. L’inspecteur Scarpa qui m’accueille me fait un rapide résumé de la situation. Comme je le pensais, le directeur du sélect hôtel vient immédiatement à ma rencontre.
-Commissaire Spinelli, toutes les facilités sont mises à votre disposition.
Il me saisit le bras et m’entraine furtivement dans le petit hall lambrissé de la porte d’eau.
-Mais je vous en prie. De la discrétion! Pensez à la réputation de mon hôtel.
Il regarde au dessus de mon épaule.
-Une catastrophe! Vous pensez. En plein carnaval.
Le gros homme sue encore une ou deux plaintes.
-Où se trouve la victime?
-Au premier, signor Commissaire, au premier. La mezzanine juste au-dessus de la réception. Le docteur Putelli est là qui vous attend.
Il repasse un coup de mouchoir sur son front dégarni.
-Je vous en conjure, signor Commissaire! Du doigté...du doigté!

Je monte lentement le magistral escalier de marbre et prends sur la droite la petite galerie. Coup d’oeil retenu vers le majestueux salon du rez-de-chaussée. Visiblement l’annonce du drame s’est répandue comme s’enflamme la poudre étroitement traînée. Regards travaillés pour les uns, affligés pour les autres. J’aperçois Emilio, le fouille-merde du Gazzettino qui se faufile vers la réception. Et ce pauvre directeur qui espère envoiler l’affaire!

Adossé dans l’embrasure d’une porte entrebaillée, le docteur Putelli me fatigue un sourire.
-Buona sera, Spinelli.
-Comment allez-vous, Dottore?
-Triste mercredi de carnaval, Spinelli !


A suivre ...

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