"Messire Agostino, vous faites tout pour précipiter ma mort afin de prendre ma place.
Mais si la terre vous connait aussi bien que je vous connais, elle se gardera de vous choisir !"
Jamais auparavant la controverse entre le doge et le procurateur de San Marco n'avait été aussi violente.
Jamais précédemment l'altercation entre les deux frères ne s'était montrée aussi impitoyable.
L'assemblée est tout silence, même si braver le chef de la République est notable, à fortiori si l'opposant est un parent.
Le doge Marco Barbarigo regagne ses appartements. Il n'a plus que quelques jours à vivre.
Malgré des rumeurs d'empoisonnement, en dépit des dernières paroles du doge, c'est bien Agostino, le frère cadet, qui va coiffer le camauro et le corno ducal.
Deux doges de la même famille qui se succèdent... Du jamais vu depuis quatre siècles.
La répulsion congénitale du peuple devant toute forme de monarchie ressurgit.
Agostino Barbarigo va tenter d'apaiser le ressentiment général tant bien que mal.
Ses quinze années de règne ne seront pas des plus heureuses.
Il s'en faudra de peu que les conclusions d'un long procès posthume ne défigurent son portrait dans la salle du Grand Conseil, à l'instar de l'infortuné Marino Falier.
La Pala Barbarigo est considérée comme son expiation après les funestes dissensions qui emportèrent son frère, rédemption confiée aux pinceaux de Giovanni Bellini.
L'artiste génial, qui signe et date résolument son oeuvre, agenouille l'intraitable et infatué doge au pied de la Vierge pleinement absente.
Saint Marc, d'un geste protecteur, sollicite de l'enfant Jésus l'absolution du Prince.
L'événement dominant est quelque peu décentré. Tout à droite, Saint Augustin, patron de Barbarigo, se tient devant un paysage où se dresse un arbre décharné, symbole de la mort et de la faute qui doit être réparée...
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