dimanche 28 février 2010

A l'arrière du campo Santa Margherita...



A l'arrière du campo Santa Margherita, passé une porte grillagée toujours verouillée, il est une cour privée , antichambre des jardins du palazzo Berlendis. Dans un coin, le centaure ivre qui enlève une jeune vierge trouble à peine le silencieux décor qui ferait pâlir d'envie les studios Cinecittà

Sur la gauche, une grille interrompt le long muret qu'ébouriffe une haie de fusains et de lauriers roses. Quelques marches. Notre visite précoce en ce début avril nous prive malheureusement de toutes les couleurs que les proches semaines éparpilleront dans les jardins Berlendis.

Tulipes, rhododendrons et camélias. Magnolias, vignes vierges et glycines. Iris, lauriers et clématites. Figuiers, ifs et fragole. Hortensias, azalées et muguets. Lilas, bambous et arbres fruitiers. Lierres, cyprès et sapins rouges.

Comme autant d'arcanes, la fontaine aux dauphins, l'angelot chevauchant un centaure, le chérubin entortillant un poisson. Le buste d'un empereur romain, la guerre des Gaules, Alexandre le Grand, comme pour célébrer les hauts faits d'armes des Giacomo, Camillo et Nicolo Berlendis.

Nous sommes bien à Venise, à l'arrière du campo Santa Margherita
























jeudi 25 février 2010

La dernière marche d'eau du petit escalier de marbre...

L'île de Murano mérite bien plus qu'un arrêt éclair sur la route de Torcello.Une série de petits billets pour vous en persuader...Voici un autre.

En écho au billet de Maite



1810
Il ricoche et tournoie musicalement sur la dernière marche d'eau du petit escalier de marbre qui se liquéfie dans le rio dei Vetrai.
Le pêcheur hisse son dernier panier sur la fondamenta quand il aperçoit le morceau de bois: une Vierge à l'enfant aussi noire que le charbon.

Le père Stefano Tosi, gardien dérisoire d'une chiesa San Pietro désacralisée depuis peu, reçoit la statuette des mains du pêcheur: 1612 gravé au pied de Marie.
Il l'enferme dans la crédence de la sacristie dénudée, bien décidé à l'étudier le lendemain.

A l'aube, l'armoire aux saints habits est vide.
Tosi n'a pas le temps de s'interroger. Les cris du pêcheur ramènent la statuette de la Vierge découverte à l'instant sur la dernière marche d'eau du petit escalier de marbre qui se liquéfie dans le rio dei Vetrai.

La mystérieuse comédie se renouvelle trois nuits d'affilée. Malgré toute les précautions du religieux.
La superstition muranese dresse alors une imposante chapelle à l'endroit manifestement choisi par la Mère des hommes, quelques planches de pin ajourées sous la robuste galerie de l'antique demeure des frères dal Gallo.

Fleurs et dons divers exaucent les voeux des habitants de la population de l'île au verre jusqu'en 1974, année où la commune décide de réaménager la fondamenta Manin en supprimant les quatre marches d'eau du petit escalier de marbre qui se liquéfie dans le rio dei Vetrai.
Dans la nuit du jeudi 19 décembre 1974, la Vierge à l'enfant disparaît définitivement.
Les autorités remplace la statuette par une mosaïque représentant la Vierge dépouillé de son enfant.
Un petit écriteau relate brièvement l'histoire de la chapelle et dénonce le vol de l'icône.

Un vol ?

Et si, au retour d'une flânerie nocturne, la Vierge à l'enfant ne retrouvant plus ses quatre degrés s'était alourdie de tristesse s'enfonçant à jamais dans la vase au pied de la dernière marche d'eau du petit escalier de marbre qui se liquéfiait dans le rio dei Vetrai ?










mardi 23 février 2010

Je m'appelle Jacob Flint et je suis né il y a vingt-quatre ans à Chetham...

La taverne du doge Loredan

"Alberto Ongaro ... 'ami et complice d'Hugo Pratt.'

Tout est dit !
Jubilatoire!

Le rio di San Felice, le ponte Chiodo tout au bout.
Un manuscrit poussièreux de mystère.
Venise sous la neige.
Réalité ? Rêverie ?

Le plaisir de la lecture décortiqué.
" Le lecteur...pourrait être le personnage le plus important de tout livre..."

L'étrange symbiose entre le lecteur et sa lecture. Comme opèrent parfums, images et musique dans l'âme d'un chacun, ainsi opèrent mots, histoires et écriture dans l'âme du lecteur. Le tout balancé avec une déroutante ponctuation qui enivre.
D'une traite.
Sans paragraphe.
Une histoire où l'on trouve sa place,
où l'on ne s'étonne pas de converser avec les corbeaux,
où l'on pardonne à un moine cyclope,
où l'on tombe amoureux d'une femme en cire.

Une histoire... déjà rien que pour les noms de ses protagonistes.
La Nina et Jacob Flint.
Fielding et le commandant Viruela.
Dick et Severino.
Schultz et Paso Doble...

Et puis Venise, bien sûr!
Venise sous la neige...

N'hésitez pas une seconde à vous aventurer dans la taverne du doge Loredan.

" Des grappes de fiasques de vin, de saucissons, de jambons et de coppas pendaient au plafond au-dessus du comptoir, à côtés de tresses d'ail et d'oignons et de filets de pêche où semblaient se débattre quelques espadons empaillés et de grandes barriques placées çà et là et un parfum de sauces en tout genre(...)et la présence invisible des haricots, des seiches, des petits calamars, des viandes cuisinées en ragoût, du barolo, du tokay."







lundi 22 février 2010

Une robe de mousseline blanche à cordelière bleue formait son costume de voyage...

Deux trois billets pour autant de flâneries entre les tombes de San Michele, l'occasion d'exhumer quelques personnages dont les noms ont été effacés de la pierre de toute mémoire.



Eduard Douwes Dekker, né à Amsterdam le 2 mars 1820, est considéré comme un anarchiste. Il crache une haine incommensurable sur le conformisme bourgeois, sur l'hypocrisie, sur le mariage et se proclame athé. Il est le premier Néerlandais à être incinéré (à Ghota) en 1887, chose encore inconcevable aux-Pays-Bas.
Sous le nom de MultatuliJ'ai beaucoup enduré » en latin), il signe son oeuvre majeur « Max Havelaar » un ouvrage anti-colonialiste, anti-esclavagiste écrit en un mois en 1859.

Max Havelaar est aujourd'hui le nom d'un label pour le commerce équitable.

Mais quel rapport avec Venise, me direz-vous ?

Sa première épouse, la baronne Everdine Huberta van Wijnbergen, qu'il appelle affectueusement Tine. Ils se marient le 10 avril 1846. Quelques temps après la naissance de leur deuxième enfant, il s'éloigne ne pouvant subvenir à leurs besoins. S'ensuit la longue correspondance de Tine avec Stéphanie Omboni une de ses anciennes élèves qui vit en Italie. Sans une plainte, toujours amoureuse de son génie, Tine commence une vie de dettes et de dénuement. Sans le sou, parfois sans le pain, souvent sans le feu.

Toute la journée a été très pénible pour moi... Oh ! la misère ! C’est affreux, et que
 faire ?

A chaque envoi d'argent, à chaque retour ou pli de son génie, elle rebondit.

Aujourd’hui, j’ai payé des notes qui me pesaient beaucoup. Je suis nerveuse, mais à présent de bonheur et de joie. Dekker m’écrit des lettres pleines d’amour ; il croit être sûr de 
triompher. Il est si heureux ! ...Oh ! tu le verras,
 il est un génie. Vraiment, il est adorable.

Maigre répit. Quand le repos nous viendra-t-il ? J’envie les 
morts. Quel doux repos !

Ensuite quelques mois de bonheur avec ses enfants près de son amie Stéphanie à Milan, à Padoue.
Un rien d'insouciance...Car Dekker lui demande de le rejoindre à Amsterdam pour partager le même toit avec sa enième maîtresse. Elle accepte. Et pour la première fois, l'amour s'étiole.

Je n’aurais pas dû quitter Milan. Povera me.

Elle retourne à Padoue et s'installe en 1873 à Venise. Elle est usée. Son amour s'est fané.

Sais-tu, je 
suis très contente que mon Edouard ne sera 
jamais un génie... les génies, je les plains de tout 
mon cœur… Je ne les crois pas 
heureux, ni pour eux-mêmes, ni pour les 
autres.

Elle avait juste besoin d'aimer.

Elle avait juste besoin d'être aimée.

Elle s'éteint le 13 septembre 1874 et repose à San Michele.





















dimanche 21 février 2010

Et l'ombre de la nuit descendait...


Il aura fallu plus de trente années au Lieutenant Giovanni Drogo pour aspirer à la gloire au fort de Bastiani.
En vain.
Il aura fallu plus de trente années au poète-écrivain Dino Buzatti pour trouver la paix éternelle dans les Dolomites.
Enfin.

Se sachant condamné, Buzatti se réfugie dans son village natal près de Belluno.
Il y compose ses dernières nouvelles.
Il y rédige son testament dans lequel il stipule son désir d'abandonner ses cendres au vent qui fait chanter ses chères Dolomites.
Voeu inconcevable à l'époque.

Mais aujourd'hui "...le rêve de Dino sera enfin réalisé..."
La région de Vénitie vient récemment d'amender la loi en matière funéraire, autorisant désormais la dispersion des cendres dans la nature.
Après avoir été enterrées à Belluno, les cendres de Buzatti furent confiées à sa veuve Almerina Antonazzi qui les garde en un lieu secret de Lombardie depuis 2002.
Désormais, le grand écrivain italien dansera aux caprices du vent qui houle depuis toujours les hauteurs de la Croda da Lago que cet amoureux des montagnes avait caressée le jour de ses soixante ans.

Les journées que tu as perdues.
Tu attendais, n'est-ce pas ?
Elles sont venues.
Qu'en as-tu fait ?
Regarde-les, intactes, encore pleines.


Effrayantes ces milliers et milliers de caisses identiques !

Je crois bien en avoir vu m'appartenant...




vendredi 12 février 2010

Dis-moi tes lectures, Nicolo...


Ce soir, j'abandonne mes anges une large semaine...

Aussi vous confie-je quelques lectures de Nicolo Tommaseo.
Homère, Dante et la Bible.
Il y a de quoi faire !

Et si ce n'est pas assez, voici une nouvelle de mon ami Albert(o) :


Bonne lecture, portez-vous bien et à la fin de semaine prochaine...











jeudi 11 février 2010

Byron ou trois vénitiennes années (3)...



Si j'ai des amis à Venise,
j'y possède également mes fantômes...
Byron en est un.
Je vous propose en plusieurs billets disparates de suivre le poète durant ses trois vénitiennes années, de découvrir ses amours, ses excentricités, ses travaux, les divers lieux qu'il hanta...





Novembre 1816, lundi 11.
Byron se réveille pour la première fois à Venise
Que fait-il ?
Mais pardi...la même chose que nous fîmes vous et moi.
Il tourne deux jours durant sur la Piazza, la Piazzetta et le Môle.

« Debout à Venise sur le pont des Soupirs
Un palais d'un côté, de l'autre une prison
J'ai vu des ondes ses édifices surgir
Comme au coup magique d'un enchanteur et son bâton »

La licence poétique que voilà...
J'ai essayé...Vous aussi
Les lucarnes ajourées du cercueil de pierre de Da Ponte ne laissent pas transpirer grand chose.
Evidemment, « Debout à Venise sur le pont de la Paglia » cela manque d'allure.
Allez identifier Venise au pont della Paglia !
Vous m'en direz des nouvelles...

Palazzo Ducal.
Sala del Maggiore Consiglio.
C'est la stupéfaction.
La grande salle dont la frise glorifie les premiers doges de la Sérénissime abrite à l'époque la librairie Marciana. L' abbé Morelli en est le premier bibliothécaire depuis la chute de la République.
L'homme érudit est un homme d'église; il n'a pas hésité à brûler un livre de l'Arétin.
L'homme humble est un savant; il est reconnu dans l'Europe entière.
Intrigué par l'intense émotion de Byron devant le voile noir de Falier sur lequel fut brodé sans pitié le désormais célèbre « Hic est locus Marini Faletri decapitata pro criminibus », l'abbé s' approche du poète et lui conte l'histoire tragique du vieux doge.

« Le messager n'est pas de retour ? »
Les premières tirades de son drame Marino Faliero dansent déjà dans l'âme triste et amère du Pèlerin.


Giacomo Morelli s'éteint le mercredi 5 mai 1819. Il sera inhumé dans l'église du Codussi à San Michele après les somptueuses funérailles offertes par le gouverneur-général lui-même, le comte Peter Goëss.
Lord Byron était-il au balcon de son Mocenigo quand le petit cercueil de bois remonta une dernière fois le Canalazzo ?


Dans la préface de son drame en cinq actes (1820), Byron remercie l'abbé Morelli comme une des sources de sa tragédie historique.

"...Me voilà enfin redevenu Marino Faliero."

A suivre...




Eugène Delacroix





mardi 9 février 2010

Le petit Simon et la dame aux longues jambes nues...



Permettez-moi ce petit capriccio tout droit sorti de mon carnet de voyage, 19 mai 2009...


Dix-neuf marches nous séparent.
Elle est là !
Bien au dessus de moi.
Assise.
Renversée à vrai dire.
Le bras gauche tendu vers le ciel, elle s'abandonne, ses longues jambes nues élancées vers l'avant. Une chevelure de charbon tirée soigneusement vers l'arrière. Des lèvres gourmandes. Des yeux de braise. Mais 'pristi ! Les jambes ! Des jambes qui n'en finissent pas de ne pas finir.

Je gravis lentement les marches tendues.
Vers elle le regard raide.
De lourds grillages ralentissent ma progression.
Dès mon entrée, la belle disparaît.

Il y a quelques années, lors de mon dernier passage dans cette église-panthéon que Scalfarotto proposa à la Sérénissime, c'était un dimanche. Il y avait une dizaine de fidèles et l'encens brouillassait à gros bouillons la rotondité de San Simeone Piccolo. Aujourd'hui, jour de semaine, je suis seul. La messe, l'unique en latin à Venise, touche à sa fin. Le prêtre dos à la non-assemblée est debout face au maître autel. A ses genoux, un servant, tour à tour cérémoniaire, porte- lumières, thuriféraire, porte-croix, porte-navette et céroféraire fixe le crucifix. Leurs labialises couvrent suffisamment mes pas et me permettent d'ignorer l'affichette de l'entrée: accès seul pour la prière. A l'extérieur ces longues jambes nues qui n'en finissent pas de ne pas finir continuent de vanter les sacs et chaussures estampillés Roccobarocco.

Dans deux jours, je lirai à la une de plusieurs gazettes la victoire des quelques paroissiens qui obtinrent finalement la délivrance du petit Simon de ce lucratif mais ô combien sexy carcan publicitaire.

C'est vite oublier qu'au début dix-huitième, pour récolter les fonds nécessaires à la reconstruction de l'église, le curé surnommé Manera organisait chaque année une loterie ayant pour prix quatorze remises totales de peines temporelles, soit autant d'allers simples pour le Paradis sans passer par la case Purgatoire!


Entre escroquerie et sensualité, mon choix est vite fait...













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