lundi 30 novembre 2009

Via delle Notte à Sant' Erasmo, il est un blanc...

Casa Rossa, la cave


"Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant.

Car j'éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux."
L'âme du vin - Baudelaire


Après une éclipse de trois siècles, la vigne renaît dans la Sérénissime.
L'Orto di Venezia, le seul et unique vin cultivé sur les terres de Venise, sur l'île de Sant'Erasmo.
"Un vin blanc sec, rectiligne à la finale étrangement salée..." (Le Journal du Dimanche)





Le Rallye 2009-2010 du Campiello


La malédiction du Carmagnole


"Au troisième coup de hache, la tête du Comte Francesco Bussone bascule..." A la lueur des bougies, un chirurgien et un jeune médecin inexpérimenté vous feront voyager de la place bruxelloise du Sablon jusqu'en Suisse en passant par Le Mans, ses rillettes et ses 24 heures.


"La réputation du condamné et la rapidité de notre action ont renforcé le sentiment d'infaillibilité de Votre Grandeur..."A la lueur des bougies, il vous faudra jouer à chaise musicale avec un puissant sorcier, des aristocrates russes, une batave endormie et un dragon aux superbes écailles.


"...des innocents périront...le tronc décollé, les membres calcinés..."A la lueur des bougies, il vous faudra faire trempette dans la fontaine avec le président des USA, un artiste canadien, un millionnaire et un photographe autrichien.


"...Le dernier jour de janvier, année 2010, Venise plongera dans le chaos..." A la lueur des bougies, vous assisterez avec un épervier et une future doctoresse en linguistique japonaise à un spectacle de théâtre d'images nippon.


"...Soeur Ginevra disparue depuis une semaine..." Comme tout bagage, une grappa di moscato, quelques poulpes grillées, des fonds d'artichauts, des polpette et des cozze à la marinière.


"Je m'aperçus avec horreur que j'avais trouvé un serpent caché sous les roses..." Pas de panique...Tous les D.D du Campiello seront sur place!


Le Rallye 2009-2010 du Campiello commence ce lundi à 22 heures, c'est ici

dimanche 29 novembre 2009

Le fantoche du Correr...




" - Si je puis me permettre, Illustrissime...
L'allonge droite...plus tendue...
La main plus large ouverte...
Vous êtes le maître des Nations...oui...Parfait ainsi!

- Hâte-toi, l'artiste, je fatigue!

- Avec votre impériale compréhension...
Plus haut le drapé de la toge... Plus ferme le monde dans votre main!

- Le monde!?! Cette grossière éponge? Et cette serviette mal dégrossie... la toge d'un Auguste?
Tu m'agaces, Véronais! Mon bain se refroidit et j'ai une jeune impératrice qui se languit!
Il suffit!
Fais voir ton travail!
Ce torse...je le veux plus bombé! Et ces membres...pas assez musclés!
N'oublie jamais que ton maître Canova donnerait cher pour être à ta place!
Ne me déçois pas, Véronais!"


Paris, 5 avril 1810, Domenico Banti traverse prestement les jardins parfumés des Tuileries, les précieuses esquisses sous le bras. Il ignore encore que c'est derrière une vitre épaisse que son empereur de marbre régnera, le jour sur un bataillon de touristes désabusés, la nuit sur une troupe de gardiens à la ronde blasée....

jeudi 26 novembre 2009

Les yeux orgueilleux de leur vertigineuse passion...

Bianca Cappello, fille de la République de Venise


Le 26 novembre 2005...
Poggio a Caiano, Toscane.
Sous le pavement de l'église di Bonistallo une équipe de restaurateurs a mis au jour, entre deux crucifix, une urne en terre cuite recelant les viscères momifiées du Grand Duc François Ier et de son épouse la vénitienne Bianca Cappello, fille de la République. Les chercheurs ont bon espoir de mettre fin au mystère qui brouillarde leurs morts quasi simultanées...

Mais revenons quelques siècles plus tôt, le 28 novembre 1563.

Bianca Cappello est belle. Bianca a quinze ans.
Pietro Bonaventuri est beau. Pietro est riche.
Mais l'héritier d'un opulent banquier florentin comme il aime à se présenter n'est autre que le modeste employé de la famille Salviati de Florence.
Le destin est désormais en route...
Il est des chemins de traverses où tout retour en arrière s'avère impossible...
En cette nuit d'automne, tous deux fuient Venise pour la ville des Médicis. Les yeux orgueilleux de leur vertigineuse passion...

La petite Pellegrina sera le point culminant de leur union.

Ensuite, Pietro jouera les Don Juan. Cassandra.
Il sera assassiné. Mais c'est une autre histoire.
Ensuite, Bianca jouera les grandes-duchesses. François.
Elle sera assassinée. Mais c'est une autre histoire.

Le 20 octobre 1587, la "Vénitienne des Médicis" expire.
Bianca Cappello, vrillée par la souffrance, succombe quelques heures à peine après François, son époux.
Florence vient de perdre à Poggio a Caiano ses deux premiers citoyens. Version officielle: la malaria.
Mais la brise de Toscane veille à la légende...Le poison!

Le 28 décembre 2006, les résultats de l'enquête, par ailleurs fort critiquée, légitiment la brise de Toscane: intoxication aigüe à l'arsenic. Peut-être, mais... qui est le responsable ?
Allons, faites votre marché.

Celui à qui profite le crime?
Tous deux empoisonnés par le Cardinal Ferdinand qui va succéder à son frère François.

Bianca elle-même ?
Seule, elle décide de se débarrasser de son ennemi ouvert, Ferdinand son beau-frère. Une tarte empoisonnée clôture un tête à tête diplomatique. Une bague mystérieuse éveille les soupçons du Cardinal. François revient de la chasse. Ignorant les desseins de sa bien-aimée, il se taille une part de la gâterie. Trop tard!
Stoïque, Bianca pour taire son crime se sert à son tour.

Bianca, encore ?
La Cappello abuse et abuse de filtres d'amour. L'apprentie-sorcière violente les préceptes de ses vieux grimoires... Les doses se révèlent mortelles...

Allons, faites votre marché !

François, Grand Duc de Florence, rejoint les siens à San Lorenzo.
Bianca, fille de la République de Venise, misère à la fosse commune.

mercredi 25 novembre 2009

Ai caduti...

L'île de Murano mérite bien plus qu'un arrêt éclair sur la route de Torcello.Une série de petits billets pour vous en persuader...Voici un autre.



Le monument aux citoyens de Murano tombés aux champs d'horreur, Napoleone Martinuzzi(1927)


Il est un petit cloître rose aux corniches tuilées. Aire sacrée dont le parterre se désuni sous la folie de quelques herbes. Au centre, posé sur trois degrés, un large socle opalin sacrifie un soldat. En toile de fond, des anges résolument féminins annoncent la victoire et le repos du guerrier. Un fantassin arbore gravement la basilique des Santi Maria e Donato.
Le plus émouvant est à l’avant-plan. Quatre pilastres au modelé allégorique pleurent l’intemporel déchirement d’une famille prise dans les tourments de la guerre.
La première pile dévoile les heures de bonheur et d’insouciance dénudant une Eve éternelle, la poitrine lourde, le fruit d’amour dans le creux de la main. En un phylactère de pierre, ses pensées alanguies vont vers son homme verrier qui défie les 1200 degrés du fourneau. Murano oblige.
Le deuxième et troisième pilier racontent la famille qui éclate. Les traits de la femme se sont figés. L’enfant du couple se cache dans les plis de sa robe austère. Les mains de cette mère de famille, maladroites de tristesse, s’ouvrent péniblement pour accompagner au plus loin l’époux peinant à se retourner, tout engoncé de guêtres en cape.
Le dernier pilastre enfin, dont la composition n’est pas sans rappeler le Noé de Calendario à l’angle sud-est du Palazzo Ducale, évente toute l’angoisse de l’insupportable attente des femmes, pendant que leurs maris et amants ferraillent à l’image des deux fauves qui s’entredévorent à l’arrière plan. Une abondante faune et flore rythment et pimentent les diverses séquences.





Le monument plus détaillé, c'est ici

La Sainte Catherine de 1454


Venise.

Venise vue du ciel.

Le cormoran plonge rapidement vers le Rialto,

se hasarde brusquement sous le pont en bois,

rase les flots, se faufile entre les gondoles,

épouse la courbe du Grand Canal jusqu'à la Ca' d'Oro,

vire à gauche en ralentissant


et pénètre l'intimité d'un palais par la loggia du deuxième.


Une femme, Fiorenza, est couchée dans un lit.

Un homme, Marco, assis à ses côtés, désarme sa fatigue.

Un nouveau-né suçote sa babine supérieure.

"- Quel Saint fêtons-nous aujourd'hui ?

- Catherine d'Alexandrie.

- Qu'il en soit ainsi! Laisse venir les enfants !"


Tour à tour Regina, Agnese et Marietta passent gravement la porte.

Le petit Giorgio, imitant comme à son habitude Agostino le vieux domestique,

burlesque son apparition.


" Zorzi! Arrête de faire l'idiot ! Voici ta soeur ! "

Se retournant vers les trois petites,

"Voici votre soeur...

Caterina... Caterina Cornaro !"



Nous sommes le 25 novembre 1454


mardi 24 novembre 2009

Près du campo de l'ami Goldoni...

Le billet de Lorenzo sur les chiens et Venise m'a ramené un an en arrière, presque jour pour jour.
Voici la singulière rencontre dont je postais les détails sur le forum du Campiello


Pour éviter la cohue du campo de l'ami Goldoni, je prends résolument une étroite et sombre calle de traverse.
Me précède de peu un homme, vénitien, à n'en pas douter.
Sans un regard, ce dernier, la main muette tendue vers le sol, me fait part d'un danger imminent: une énorme commission canine !
Quelque semelle a déjà manifestement gaufré la pièce, élargissant inégalement l'affaire.
A mon tour, avertissant mon épouse, ne voilà t'il pas qu'elle se met à s'énerver:
"Mais il n'y a plus que de la m... dans les rues de Venise !"

L'homme s'arrète, se retourne à peine et dans un zézayant français :

"Madame, vous avez mille fois raison !
C'est la nouvelle mode ! C'est à celui qui aura le plus gros chien !
De nos jours, les vénitiens, dans leurs minuscules appartements, ont un deux énormes chiens
!"

L'ampleur de son geste n'a d'équivalent que son indignation subitement éructée.
A la queue leu leu, nous reprenons la calle.
Mais sa colère ne s'apaise nullement.

" Regardez là! Ce palais hors de prix! Ils en on fait une pissotière !"

Il nous montre une des toilettes publiques, au coin de la calle Bissa.

"L'étroitesse de ces calli et les téléviseurs hurlant, fin de journée !
Je pense que dans moins de deux ans, j'aurai quitté cette ville !"

Ensuite, le monologue dégénère:
"Et tous ces Africains, tous ces gitans...!"
La calle s'évase. il se retourne et nous lance:
"Vous savez ce qu'il manque ici!?!"

Serrant le poing, il dévisse son poignet et répond à sa propre question:
"De l'autorité !"
Le bras élancé vers l'arrière, il prend congé en nous lançant un tonitruant "bonjour".


Il faudrait avertir le chien et lui dire qu'entre ses déjections désordonnées et l'ignominie d'un état "fort", le gué est trop vite franchi ! :(
.

Saint Marc et sa Salomé







"Il ne t'est pas permis de l'avoir pour femme!" se condamne le Baptiste en bout de table.




A l'opposé, Hérodiade, le geste lascif, dénonce au bourreau son humiliation.
Les courbes poivrées de sa fille ratifieront sa vengeance.



Une sifflante cymbale lacère alors la ripaille royale,
coups de fouet de plus en plus rapides.
Deux dourbakas s'en viennent gronder alternativement libérant les sanglots débridés d'une cithare.
Prisonnière d'un fourreau vermeil étoilé d'escarboucles opalines,
Salomé toupille à petits pas saccadés, virevoltant sèchement
aux éclats des tambourins entre les convives avinés.

Fouette cymbale!
La gorge se dresse hautaine.
Pleure cithare!
Les hanches s'emballent épanouies.
Tonnez dourbakas!
Chaque tressaut de la juvénile bacchante dévoile le bouton en fleur
d'un sein têtu.

"Demande-moi ce que tu voudras...
L'impudique légèreté du cafetan de vair plonge l'arrondi des flancs vers d'inavouables luxures.
...et je te le donnerai!"
Hérode ne peut plus se rétracter.
Sans un cri, le corps tendu vers l'infini, Jean est supplicié.

Brutalement l'ensorcelante mélopée s'évanouit...
Chevelure de vipères affolées, Salomé se cristallise...
Encore tout étourdi, je sors du baptistère de Saint Marc
rejoindre mon épouse qui patiente sous les voûtes mordorées de la basilique.

"Eh bien!?! me lance-t'elle...T'en fais une tête! T'as valsé avec ...le Diable? "





Il est bien dommage de n'avoir accès que fort peu souvent au baptistère de Marc.
Quand la porte baille un tant soit peu, il ne faut pas hésiter un seul instant!
Salomé est là qui vous attend se tortillant comme le basilic...

Voici deux autres vénitiennes Salomé: celle du Titien, celle de Klimt

lundi 23 novembre 2009

Henrietta Macy, la nonne de la Ca' Frollo


L'île de Murano mérite bien plus qu'un arrêt éclair sur la route de Torcello.
Une série de petits billets pour vous en persuader...
Voici un autre.








...Le coup de tabac qui secouait encore légèrement les eaux de la Lagune, ce samedi après-midi, 23 juillet 1927, se transforme brutalement en un véritable ouragan.
La vieille dame ne sourit plus. Un petit chien tremblote sur ses genoux.
"Peut-être aurais-je dû écouter mes amis et patienter quelque peu avant d'embarquer" serre-t-elle entre les dents.
C’est à peine si elle distingue son gondolier lutter désespérément contre les éléments déchaînés.
Le lendemain à l'aube, alertés par les aboiements du chien, les frères franciscains gardiens de San Michele découvrent à San Francesco del Deserto le corps sans vie du gondolier et, sur l'autre rivage à côté d'un sandolo éventré, celui de la vieille dame, le visage figé, étonnement volontaire.





De la vieille américaine ne demeurent plus aujourd’hui que ses cendres au funérarium de San Michele ainsi qu'un marbre à sa mémoire à Murano.





Henrietta Gardner Macy, la nonne de la Ca’Frollo, née à Boston en 1854, débarque à Venise en 1890. Sculpteur de formation, elle ouvre, à la Ca’Frollo sur la Giudecca, un laboratoire pour la reproduction en plâtre de monuments vénitiens.
Mais la philanthropie est sa vocation première. Aussi achète-t-elle une partie de l’ancien couvent des sœurs Augustines à Murano et y ouvre une école pour les enfants pauvres de l’île. L'Ecole de l'Expérience, où l'enseignement dispensé s'articule autour un théâtre de marionnettes. Elle soulage bon nombre de familles et recueille également les orphelins des verriers tombés pendant la Grande Guerre.


Elle répondra ainsi à toute demande d'aide jusqu’à ce funeste samedi de l'été '27...


samedi 21 novembre 2009

Giovanna de la Corte Nova



...Le charbon crisse sur le lin grossier, rapide et efficace.
Le pinceau glisse sur la toile, frénétique et lumineux.
La Vierge, tête précieusement de côté; Sainte Justine, implorant le firmament;
Saint Roch révélant ses putrides morsures. L'ensemble ne manque certes pas d'harmonie.
"Mais Saint Sébastien!?! Comment m'y prendre?
Giovanna rougit en brossant maladroitement d'audacieuses rondeurs
sur la fine étoffe qui doit couvrir la nudité du saint martyr.
Je n'ai encore jamais vu un homme...nu!
Si ce n'est à l'église voisine, la statue de ce Sébastien.
Je n'ai encore jamais eu d'homme!"
Giovanna riote. Il y a bien ce Pietro, le jeune de la Corte,
qui lui fait une cour assidue.
Mais même dans ses rêves les plus hardis, Giovanna ne s'est laissée aller à le dévêtir.
"Hélas! L'heure n'est pas à la pudibonderie! Le temps presse!"
La peste ravage Venise.
Giovanna achève sa peinture et se précipite sous le sottoportego pour l'y accrocher.
Elle ameute ensuite le quartier, exhorte les riverains à se prosterner
et implorer les quatre Saints représentés.
La ferveur des habitants de la Corte Nova va tous les épargner des affres
de la grande peste de 1630. L'horrible fléau se fracassera au pied du tableau de la jeune fille.


Légende?
Dans le sottoportego Nova, baissez les yeux...
Au sol, un grand carreau rouge.
C'est la dalle funéraire de la défunte Peste.
Si aujourd'hui le tableau de Giovanna a disparu,
si aujourd'hui la Vierge et Justine, les Roch et Sébastien de Giovanna
ont été remplacés par d'autres images pieuses,
aujourd'hui, 21 novembre, comme tous les 21 novembre, la Corte Nova se souvient...



A lire le billet de Fausto

vendredi 20 novembre 2009

"Et pourtant...elles sonnent !"

L'île de Murano mérite bien plus qu'un arrêt éclair sur la route de Torcello.
Une série de petits billets pour vous en persuader...
Voici un autre.




La vigilance, l'astuce et la prudence.
Voilà guilloché l'écu de Murano: un coq , un renard sur le dos et dans le bec un serpent.

Le 30 décembre 1923, Victor Emmanuel III décrète l'annexion des îles de Burano et Murano à la commune de Venise.

Vives protestations des Muranesi.
Hommes, femmes et enfants descendent sur les fondamente.
Les campanile de San Pietro, San Donato et degli Angeli sont pris d'assaut par les contestataires qui ne cessent de battre l'airain. L'éclairage public est saccagé. Les vitres volent en éclat.
Un couvre-feu est instauré, tout rassemblement de plus de cinq personnes est défendu, les contrôles d'identité empoisonnent le quotidien.. La maréchaussée aidée par les premières Camicie Nere reprennent les campanile, les reperdent, les reconquièrent pour à nouveau se les faire subtiliser.
On en vient à couper les cordes « Et pourtant... elles sonnent ! ».
S'ensuivent les premières arrestations, les premières déportations vers Venise, menottés deux par deux. Jusqu'à ce matin du 11 janvier, lorsque les forces de l'Ordre mettent en joue un groupe menaçant d'ouvriers accompagnés de leurs femmes. Moment de panique. Instant de silence.

Les carabinieri se replient. Le pire est évité.

Dès lors, les émeutes et protestations se mourront insensiblement, les séparatistes s'asphyxieront peu à peu, de nouvelles cordes seront placées dans les campanile.
Murano est devenu Venise.

De ces chaudes journées de l'hiver '24 nous restent une série de coqs pochés à la poix. L'un s'en vient narguer le fauve ailé, un autre s'en va souiller de son sang goudronné le lion qui veille le ponte Ballarin, les autres se dispersent sur les murs de la Cité:

VOGLIAMO MURANO AUTONOMA


Alina Percea ou les parapluies de la Misericordia...


Agostino Carracci


La pluie bat furieusement les vitres de notre chambre 5...
Parapluies de touristes, parapluies d'hôtels aux variables étoiles.
Les parapluies de la Misericordia glissent à petits pas mouillés.
Ils ne prêtent plus attention aux précieuses vertèbres du Chiodo.

Est-ce dans la luxueuse chambre d'un de ces hôtels aux variables étoiles
que Alina Percea a consommé ses noces désarmantes?
Il y a peu, cette fille de dix-huit ans, aux cheveux plus sombres que l'ébène,
a mis sur le net sa virginité aux enchères pour financer ses études.
Le meilleur enchérisseur, quarante-cinq ans, est un homme d'affaires
mais également un gentleman.
L'étudiante est conviée à Venise.
Sérénissime Cicérone le jour, Casanova divin la nuit.
L'homme est originaire de Bologne.
La ville du Carracci... Agostino et ses érotiques postures.

Le ruban de pureté, objet de l'enchère, est délié.

J'ai du mal à m'endormir.
J'ose à croire que la belle roumaine se sera montrée plus généreuse
que les misérables termes du contrat.
J'ai du mal a m'endormir.

La pluie bat furieusement les vitres de notre chambre 5...
Parapluies de touristes, parapluies d'hôtels aux variables étoiles.
Les parapluies de la Misericordia glissent à petits pas mouillés.
Ils ne prêtent plus attention aux précieuses vertèbres du Chiodo.


jeudi 19 novembre 2009

Fait divers



La révélation d'un cheval au petit trot dans les calle vénitiennes est un spectacle que mon imagination pourtant débridée ne parvient pas à dompter.
L'historien a beau me vanter l'opulent et touffu haras de Michele Steno,
l'homme de Droit m'énumérer les multiples décrets qui peu à peu exclurent la rossinante des murs de la Sérénissime,
le diariste magnifier l'escalade épique au Campanile d'un étalon princier...
Rien n'y fait!
Pouvez-vous imaginer une jument avaler les ponts certes orphelins de degrés?
Pouvez-vous inventer un destrier sur l'arête albâtre d'une fondamenta, son reflet piaffant les eaux d'un rio?
Moi pas!


Pour l'heure, voilà une affaire qui ne doit guère travailler l'homme que voici traîné par une haridelle en furie jusqu'à San Marco!
Ce 19 décembre 1500, le curé de Zan Degola est condamné à mort pour le meurtre d'un homme, de sa compagne et de leur enfant.
La main droite grossièrement tranchée, c'est de façon assez cavalière pour s'adonner à l'équitation que l'homme d'église s'en galope rejoindre les colonnes de la Piazzetta où il sera décolleté et dépecé en quatre morceaux inégaux.


Qui a ricané le Vénitien piètre écuyer ?


Chiesa San Giovanni Decolatto

mercredi 18 novembre 2009

Le bottazzo di sant'Albano

L'île de Murano mérite bien plus qu'un arrêt éclair sur la route de Torcello.
Une série de petits billets pour vous en persuader...
Voici le premier.


Le bottazzo di Sant'Albano



Au dessus de la troisième colonne, à gauche dans la nef principal de la basilique des Santi Maria e Donato, est encastré un troublant bas-relief. Le lion marciano,
maîtrisant et les mers de ses membres postérieurs plongés dans l’onde turquoise et la Terraferma de ses pattes avants bien solidement campées, tient ouvert en ses griffes le livre de la Sérénissime. En dessous du fauve doré, deux blasons, dont le coq de Murano, encadrent un tonnelet emmuré dans la paroi qui n'en libère que le cul à l’effigie de Sant’Albano. La date de 1543 soulignée par quatre lignes en latin:

suus.hinc.divo.albano.cant/ harus.pendet tutam cui/ praetor quirinus.carolus/ hanc.pius.posuit sedem/ MDXLIII

Sant’Albano est un des patrons de l’île de Burano depuis qu'en 1067 son sarcophage vint s’échouer sur les rives de l’île aux dentelles. Avec ses pieux restes, les Buranelli en extirpent également les reliques des Santi Domenico et Orso ainsi qu’une modeste barrique gorgée de vin qui bien vite va éperonner leur fierté sous le nom de bottazzo di Sant’Albano. Cette dernière présente la particularité de ne jamais dévoiler son fond. Au contact du Saint, le vin y sourde perpétuellement. Si cet intarissable miracle enivre d’orgueil les habitants de Burano, il fait également miroiter jalousie et convoitise sur les flots de la Lagune. Les Muranesi mettent sur pied un raid éclair et s’emparent nuitamment du précieux baril.
Las pour eux ! Le tonnelet , éloigné de Sant’ Albano perd de sa merveille : le prodige n’a plus lieu. Les Muranesi ne bénéficieront pas du miracle et les Buranelli n’en jouiront plus ! Car par dépit et craignant le retour de l’objet sacré à Burano, les autorités de l'île du verre décident de l’emprisonner dans les murs de leur basilique.
Nous sommes en 1543.

Levez la tête ! Il y est toujours. Depuis lors, il se murmure à l’envi, qu’entre les habitants des deux îles, la rondeur de leurs relations est pour le moins ... asséchée.






mardi 17 novembre 2009

Le plus somptueux balcon du monde




















"Sur la boule d'or de la Dogana, des éclats d'argent se figeaient. Déjà la ville se plongeait dans son bain crépusculaire, couleur d'améthyste."

(Ferdinand Bac, Promenades dans l'Italie nouvelle)





Le belvédère de la Dogana di Mare, le plus somptueux balcon du monde...








"Très vite être à nouveau chez soi et saluer ce monde de l'extrême ponte della Dogana.
L'espace marin que foulent nos pas, ce déploiement essentiellement maritime, l'urbanisation amoureusement juste de la mer"


(Yves Peyré, Venise réfléchie )

lundi 16 novembre 2009

C'est dur, Monsieur, c'est dur de quitter Venise en automne !


On ne quitte pas Venise, Monsieur, on s'en arrache!


Vous connaissez tous ces deux phrases célèbres de François Mauriac, extraites de son roman Le mal écrit en 1935. Il évoque le suicide de Raymond Laurent sur les marches de la Salute.
Ce jeudi 16 novembre 1933, l'auteur du Baiser aux lépreux, dans son discours de réception à l 'Académie française, rend hommage à Eugène Brieux dont il prend le fauteuil.

Ce même jeudi à Venise, Emma Ciardi abandonne définitivement ses pinceaux. Elle a cinquante-quatre ans.
C 'est dur, Monsieur, c'est dur de quitter Venise en automne.




Célèbre durant sa trop courte destinée, cette femme intelligente qui parlait couramment l'anglais et le français a vu son enchantement auprès du public s'émousser lentement au fil des années.
De la tribu Ciardi, les mémoires retiennent plus commodément Guglielmo, le père, fameux vedutiste
Son coup de spatule et sa Venise faite de lumière méritent une plus heureuse reconnaissance.





Aujourd'hui, après la clarté radieuse et délicate, Emma, l'impressionniste vénitienne, repose à San Michele, derrière le gris fatigué d'un marbre étriqué.





C'est dur, Monsieur, c'est dur de quitter Venise en automne.
On ne quitte pas Venise, Monsieur, on s'en arrache !

dimanche 15 novembre 2009

Pax tibi Marce evangelista meus


Evangile selon Saint Marc
"C'est la voix de celui qui crie dans le désert:
préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers.
Jean parut, baptisant dans le désert,
et prêchant le baptême de repentance,
pour la rémission des péchés."


Le désert et ses animaux féroces,
et voilà Saint Marc affublé du lion !



La part des anges à Marc:
"Pax tibi, Marce, evangelista meus. Hic requiescet corpus tuum.
Un jour, ici reposeront tes os.
Le peuple de croyants qui terrassera la bourbe de ces îles,
édifiera en ces lieux une cité merveilleuse et se révélera digne
de posséder ton corps."


Les audacieux Rustico de Torcello, Buono de Malamocco,
les bougrement niais douaniers arabes,
et voilà Venise affublée du lion !







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