mercredi 12 décembre 2012

Rallye 2012-2013 du Campiello

Shot and Dawn Memory *


Le Tableau

Il est à Venise ... une porte prodigieuse!


Boezinge, cavée des mûriers, dimanche 25 octobre 1914.**

Le colonel Swolfs, passablement éméché, recommençe ses invectives à l’arrivée du brancard sur lequel gît le soldat Rathe, la jambe gauche brisée par la mitraille allemande.

-Prend mon révolver, lâche, et brûle-toi la cervelle s’il te reste un rien de dignité.

-Je n’ai que faire de votre arme.
 Je suis innocent!

Deux jours plutôt, un conseil de guerre expéditif a condamné à mort le soldat Petrus Rathe, originaire de Damme, convaincu à la diable de s’être rendu sans raison à l’ennemi, et ce malgré son éprouvante évasion. Fusillé pour l’exemple, avait hurlé le colonel Swolfs.

-Tu mourras donc comme un lâche.
 Sergent, emmenez ce traître à la dix-septième trogne de la cavée!

Deux infirmiers soulèvent le douloureux bard. L’intolérable cortège s’engouffre dans la cavée. A la hauteur du dix-septième mûrier, l’aumonier militaire et douze hommes sortent d’un bosquet décharné.

-Colonel, la blessure du soldat Rathe le rend incapable de se tenir debout, s’inquiète l’abbé Nelissen.
-Ficelez-le à son brancard et dressez le tout contre ce tronc. Qu’on en finisse au plus vite, Messieurs!

Les brancardiers garrottent le blessé avec les courroies de la civière et adossent l’absurde montage à la dix-septième trogne de la cavée des mûriers.
Malgré la douleur qui lui vrille tout le côté gauche, Petrus Rathe, les yeux maintenant bandés, une petite étoffe d’un blanc douteux fixé à la hauteur du coeur, réclame l’abbé Nelissen.
Par deux fois, le colonel Swolfs empêche le prêtre de rejoindre le condamné. Et puis subitement, dans une roulée d’injures, il pousse l’homme de Dieu vers Rathe:

-Hâtez-vous, l’Abbé, si vous ne voulez pas prendre une balle perdue!

L’aumonier en pleurs tremble un crucifix de nacre et toussaille une maladroite prière aux agonisants.

-Votre âme à Dieu, Petrus.
-Mon Père, ils comprendront bien vite leur erreur. Je suis innocent. J’ai fait mon devoir. Allez trouver mes parents. Racontez-leur. Remettez-leur la lettre d’adieu que je vous ai confiée hier.
-Ecartez-vous Nelissen! Mes hommes ont l’arme en joue, vocifère alors le colonel Swolfs.

La folie des hommes déloge brutalement une trentaine de merles de la charmille flétrie.
Une petite étoffe d’un rouge douteux se ventrouille au pied de la dix-septième trogne de la cavée des mûriers.


Quelques craquantes croquettes aux crevettes grises de Zeebrugge, une platée d'anguilles au vert, un quartier de Roquefort embué des Premières Brumes de Closiot.
Une tripel Karmeliet, liquide orange safrané dans son calice de verre au cul orné de fleurs de lys... 

Le Rallye 2012-2013 du Campiello c'est ce vendredi soir, c'est ici. 


** Histoire romancée, basée sur des faits malheureusement réels ...



lundi 3 septembre 2012

Cherchez l'erreur...



Reproduction du monument équestre à Vittorio Emanuele II sur la piazzetta dei Leoncini en 1886.

Giovanni Battista Brusa

mardi 28 août 2012

Callipyge Fortuna


"Construction barbare de la Renaissance grotesque intéressante par sa situation. La statue de la Fortune formant la girouette, debout sur le monde, donne une juste idée des conceptions du temps et des espérances et des principes des derniers jours de Venise."
John Ruskin




Fortune fessue,
pulpeuse girouette:
versatile, charnue,
indécise, rondelette.



jeudi 29 mars 2012

...et ils l'ont tué

Permettez-moi ce léger capriccio pour Ezra Pound et l'hieratic head de Gaudier Brzeska


252
Calle Querini.
Rio della Fornace.
L’ambulance patiente.
Les infirmiers ronronnent.
Pound a décliné la civière.
Sans faux pas,
canne au poignet.
L’Ospedale San Giovanni e Paolo.
Minuit.



San Giorgio Maggiore, 1972.
Trois novembre soleilleux.
Bénédiction.
Saint Benoît,
choeur de bois;
chef argentin,
Georges le Saint.

Ta gondole en fleurs
le bacino en lenteur.
Absolution.
From boat to boat est ailleurs.
Le ponte dei morti
d’Italo ton ami,
n’est plus le porte-à-porte
des âmes et feuilles-mortes.



Dans les jardins de San Giorgio Maggiore,
la tête du poète.
Signée Isamu Noguchi.
Copie de l’oeuvre de Henri Gaudier-Brzeska.

Gaudier, Noguchi
...Vénitiens collatéraux


Henri Gaudier y est allé,
et ils l’ont tué,
Et ils ont tué une grande part de la sculpture…
(Canto 16)


Henri Gaudier-Brzeska
Ponte dei Morti


http://blog.tate.org.uk/?p=6180


dimanche 11 mars 2012

Sonia Kaliensky, favorite des Dieux...(3 et fin)

Permettez-moi ce petit capriccio
en trois billets, histoire d'alléger votre lecture.
Remontez le temps. Entrez dans la peau du vice-commissaire Spinelli.
Vous êtes de service ce mercredi 6 février 1907, fin d'après-midi.



-Vous dites, Dottore?
-Je vous disais que ceux qui disparaissent dans la fleur de l’age sont les préférés des Dieux.
-Je ne vous savais pas familier d'Homère.
Pouvez-vous lui clore les paupières et m’aider à redresser la malheureuse. Il me semble qu’il y a quelque chose sous sa hanche droite. Une poupée...
Une petite poupée vêtue de rose.
-Dans le monde parisien, cette particularité porte un sens bien précis interrompt alors l’inspecteur Scarpa entré silencieusement dans la chambre.
-Un sens bien précis?
-C’est du moins ce que m’a affirmé Alazabal. Il reste encore quelques jours à Venise. Le temps du carnaval. A votre disposition, si besoin est.
Autre chose, Commissaire. Les brancardiers de la Croce Azzura demandent la permission d’enlever le corps pour la mortuaire.
-Très bien. Faites-les entrer, Scarpa. Qu’ils recouvrent la petite avec le peignoir peloté au bout du lit.
-Tenez, Spinelli, ce petit sac à main enfoui sous l’oreiller.
-Faites voir, Dottore. Une clé. Vraisemblablement celle de la malle. Plus intéressant, ce billet: “Pepi Strega, gondola 128, San Marco”.
-Commissaire, il y a là sur l'athénienne ce télégramme en français, adressé à une certaine Signorina Vieste, résidant à Dresde. Egalement ces deux lettres: une pour un baron Bruelberg à Stockholm et l’autre pour le consulat de Russie. Elle implore le Consul de prévenir sa mère de sa mort. Per amore ... pour un amoureux bien connu d’elle, a-t-elle écrit. Et voici une photo. Probablement celle de l’homme responsable de ce beau gâchis.
-Montrez voir Scarpa.
Si vous en avez terminé ici, faites mander Monsieur le Consul De Soundy et retrouvez-moi ce Strega. Même si l'affaire semble évidente, ce gondolier pourra peut-être nous en dire davantage.
-A vos ordres, Commissaire!

Je me dirige vers la fenêtre.

L’homme de la photo est élégant. Le teint ardent. Les yeux de bistre. La moustache souriante. Une signature: Eduardo Garcio.

San Giorgio Maggiore a disparu. Quelques fanaux s’agitent et se croisent sur les eaux du Baccino. En bas sur le quai, j’aperçois les brancardiers quittant le Danieli. A peine si quelques badauds jettent un regard distrait sur la civière recouverte du peignoir de Sofia Kaliensky, noble russe de vingt et un an.

Je reste là, roide.
La nuit drape à présent entièrement les feux de la gondole de la Croce Azzura.

Je suis à cent lieues de me douter que dans quelques mois, une autre femme de noblesse russe viendra hanter mes nuits jusqu'à la fin de mes jours.
Je suis à cent lieues d’imaginer m'abîmer dans l’affaire Tarnowska


Fin




samedi 10 mars 2012

Sonia Kaliensky, favorite des Dieux...(2)



Permettez-moi ce petit capriccio
en trois billets, histoire d'alléger votre lecture.
Remontez le temps. Entrez dans la peau du vice-commissaire Spinelli.
Vous êtes de service ce mercredi 6 février 1907, fin d'après-midi.



-Qui a découvert le corps?
-Un ami de la victime, Carlos de Alazabal. Américain ou Argentin. Il attend votre inspecteur dans le bureau du directeur. Ce Carlos est venu rendre visite à sa jeune amie. N’obtenant pas de réponse, il a poussé la porte. Pris de panique, il s’est mis à crier que la dame se mourrait. La femme de chambre et un porteur ont constaté l’urgence de la situation. Un chasseur a été immédiatement envoyé à mon cabinet. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour la garder en vie. Elle s’est éteinte de longues minutes plus tard sans reprendre connaissance.
Vous désirez mon avis, Spinelli, elle ne voulait pas nous revenir.
-Suicide ?
-Cela fait peu de doute. Mais venez voir par vous-même.

Putelli m’entrouve la porte et me laisse pénétrer le premier. La pièce est sombre. De lourds rideaux de velours jaune rognent San Giorgio qui s’enfonce dans l’obscurité. Sur une duchesse brisée, une somptueuse robe moussone sous les étincelles mordorées d’une lune crue de février. A l’arrière du bas fauteuil, une grande malle.

-Voici les deux flacons de laudanum, que j’ai trouvés vides sur la table de chevet. Ils portent les étiquettes d’un pharmacien de la Piazza san Carlo de Milan. Le concierge du Danieli m’a souflé que ses effets ont été envoyés par le Grand Hôtel de Milan où elle aurait logé quelques jours. Mais je ne crois pas le laudanum responsable de sa mort. Je pencherais plutôt pour une importante absorption de morphine.
Vous m’écoutez, Spinelli?
Spinelli!

Je suis devant la jeune Sofia.
Une infinie tristesse incendie ses yeux béants. Un dernier prénom soufflé, une ultime présence réclamée ont laissé ses lèvres fragiles désaccouplées.
Elle est délicieusement belle. Ses longs cheveux blonds déliés inondent l’oreiller et déferlent sur ses épaules nues. Une légère nuisette de satin rose peine à dissimuler les pousses de ses seins en fleurs. La soie églantine me raconte des hanches nerveuses et des jambes graciles. Un pied découvert montre des ongles lissés rouges-sang.
Aucun autre ornement.
Dans le creux de sa main négligement relachée, une alliance en or avec cette simple inscription en français: “J’aime. 1 octobre 1906”.

-Les favoris des Dieux meurent jeunes, Spinelli!


A suivre ...





vendredi 9 mars 2012

Sonia Kaliensky, favorite des Dieux...(1)


Permettez-moi ce petit capriccio
en trois billets, histoire d'alléger votre lecture.
Remontez le temps. Entrez dans la peau du vice-commissaire Spinelli.
Vous êtes de service ce mercredi 6 février 1907, fin d'après-midi.

Milan.

-Il en sera selon votre désir, Mademoiselle.
Le pharmacien Sporati bien en courbettes referme la porte. Derrière la vitre de son officine, il regarde l’élégante dame blonde traverser rapidement la place San Carlo déserte et sibérienne.
-Giacomo!
-Signor Sporati?
-Prends ma pelisse et cours au Grand Hôtel.
Au portier tu remettras ce colis. Il est destiné à mademoiselle Kaliensky. Son nom est inscrit au dos de la carte.
Ne traîne pas. Je lui ai promis qu’elle aurait son achat dans l’heure.
-Est-ce la dame aux très beaux yeux qui vient de sortir, Signor Sporati?
-Oui Giacomo. C’est la dame aux yeux très beaux…
…Aux yeux très tristes, pensa le petit pharmacien.


Venise.

Le carnaval a remplacé la double porte d'acajou du Danieli par le tourniquet vitré. L’inspecteur Scarpa qui m’accueille me fait un rapide résumé de la situation. Comme je le pensais, le directeur du sélect hôtel vient immédiatement à ma rencontre.
-Commissaire Spinelli, toutes les facilités sont mises à votre disposition.
Il me saisit le bras et m’entraine furtivement dans le petit hall lambrissé de la porte d’eau.
-Mais je vous en prie. De la discrétion! Pensez à la réputation de mon hôtel.
Il regarde au dessus de mon épaule.
-Une catastrophe! Vous pensez. En plein carnaval.
Le gros homme sue encore une ou deux plaintes.
-Où se trouve la victime?
-Au premier, signor Commissaire, au premier. La mezzanine juste au-dessus de la réception. Le docteur Putelli est là qui vous attend.
Il repasse un coup de mouchoir sur son front dégarni.
-Je vous en conjure, signor Commissaire! Du doigté...du doigté!

Je monte lentement le magistral escalier de marbre et prends sur la droite la petite galerie. Coup d’oeil retenu vers le majestueux salon du rez-de-chaussée. Visiblement l’annonce du drame s’est répandue comme s’enflamme la poudre étroitement traînée. Regards travaillés pour les uns, affligés pour les autres. J’aperçois Emilio, le fouille-merde du Gazzettino qui se faufile vers la réception. Et ce pauvre directeur qui espère envoiler l’affaire!

Adossé dans l’embrasure d’une porte entrebaillée, le docteur Putelli me fatigue un sourire.
-Buona sera, Spinelli.
-Comment allez-vous, Dottore?
-Triste mercredi de carnaval, Spinelli !


A suivre ...

samedi 4 février 2012

La tanière déserte du fauve de la Sensa...

Permettez-moi ce petit capriccio pour une amie trop tôt disparue...


Il y a maintenant plus d'un lustre, était tout au bout de la fondamenta della Sensa, sur la façade d'un palazzo qu'aimait à s'approprier une amie trop tôt disparue, le lion de San Marco. Descendu de sa colonne qui, à l'arrière-plan, souligne l'angle des dentelles ducales, il tenait fermement le livre ouvert bravant les flots du bassin Saint Marc.
Hélas! Il n'est plus...

Profitant de Venise et son Street View, une gondole m'a amené sur les lieux.
La tanière du fauve de la Sensa est tristement déserte...












jeudi 26 janvier 2012

Sanctus Georgius Equitum Patronus



Le jour est proche où, à Venise, vous me surprendrez une escabelle à trois degrés tenaillant mon épaule. Tant sommeillent d'inestimables perles, invitations à la rêverie, masquées par la brique saumâtre.

Tel ce Saint Georges.
Un échafaudage éphémère dressé au bout de l'énigmatique Corte Nova de Cannaregio...

Je me demande si, vu d'un angle différent, notre Georges à la cape vermeille et son coursier enharnaché d'or manifestent tout autant de témérité?

Demain, il me faudra donc troubler les deux disciples de Marie la Miséricordieuse. Fondamenta de l'Abbazia, je frapperai au 3568. Aux habitants, je mendierai l'accès au vaste jardin pour saluer le Saint protecteur des lieux. Et même si ce dragon ressemble plus à un oisillon affamé, je louerai alors le guerrier, orphelin de lance, piétiner les ténèbres sans relâche.

Le jour est là où vous me croiserez une escabelle à trois degrés triturant mon épaule...












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