...Le charbon crisse sur le lin grossier, rapide et efficace.
Le pinceau glisse sur la toile, frénétique et lumineux.
La Vierge, tête précieusement de côté; Sainte Justine, implorant le firmament;
Saint Roch révélant ses putrides morsures. L'ensemble ne manque certes pas d'harmonie.
"Mais Saint Sébastien!?! Comment m'y prendre?
Giovanna rougit en brossant maladroitement d'audacieuses rondeurs
sur la fine étoffe qui doit couvrir la nudité du saint martyr.
Je n'ai encore jamais vu un homme...nu!
Si ce n'est à l'église voisine, la statue de ce Sébastien.
Je n'ai encore jamais eu d'homme!"
Giovanna riote. Il y a bien ce Pietro, le jeune de la Corte,
qui lui fait une cour assidue.
Mais même dans ses rêves les plus hardis, Giovanna ne s'est laissée aller à le dévêtir.
"Hélas! L'heure n'est pas à la pudibonderie! Le temps presse!"
La peste ravage Venise.
Giovanna achève sa peinture et se précipite sous le sottoportego pour l'y accrocher.
Elle ameute ensuite le quartier, exhorte les riverains à se prosterner
et implorer les quatre Saints représentés.
La ferveur des habitants de la Corte Nova va tous les épargner des affres
de la grande peste de 1630. L'horrible fléau se fracassera au pied du tableau de la jeune fille.
Légende?
Dans le sottoportego Nova, baissez les yeux...
Au sol, un grand carreau rouge.
C'est la dalle funéraire de la défunte Peste.
Si aujourd'hui le tableau de Giovanna a disparu,
si aujourd'hui la Vierge et Justine, les Roch et Sébastien de Giovanna
ont été remplacés par d'autres images pieuses,
aujourd'hui, 21 novembre, comme tous les 21 novembre, la Corte Nova se souvient...
A lire le
billet de Fausto