jeudi 12 novembre 2009

Mais où sont les neiges d'antan ?



Imaginez une petite pièce basse et sombre barrée par un long comptoir enluminé par un savant échafaudage de cichèti et tramezzini, enguirlandée de dames-jeannes de raboso et autre ribolla. Sur le côté gauche du zinc un étroit passage. Après les quelques permesso d'usage, se faufilant entre les clients al banco et deux joueurs rudoyant un flipper malade, on pénètre dans une pièce éclairée par une petite cour avec une veranda qui protège le billard de la maison. Au fond de la pièce, une minuscule cuisine ouverte sur cinq six tables de bois grossier. La patronne empourprée par les flammes jaunes et bleues de la gazinière y égoutte les bigoli.

J'vous raconte pas la tête de mes amis quand je les emmène chez Dante déguster la baccalà, quelques nervetti , une oràda alla griglia !
J'vous raconte pas ma tête, la semaine dernière, quand j'ai voulu emmener des amis chez Dante!

Portes closes.
Le comptoir vide, plus l'ombre d'une fiasque.
Absents les hauts tabourets. A la place du vieux flipper malade, une chaise roulante.

- Dans la corte Nova, alle Alpi, chez Dante, était un oasis d'authenticité vénitienne dans ce monde où tout fout l'camp, ma bonne Dame !

mardi 10 novembre 2009

La Venise des Doges



Après son Napoléon et Venise, à la suite de sa Caterina, reine de Chypre, Amable de Fournoux a la bonne idée de remettre le couvert pour notre plus grand plaisir.
Hier l'aventure d'un empereur et la fatalité d'une reine, aujourd'hui le destin de seize doges revisité par le journaliste-historien.
Comme un grisant présage, une dizaine de vers du Pélérinage de Childe Harold étrenne la lecture.

Fondamenta delle Convertite

Le 10 novembre 1561, Piazzetta ...
L'homme que l'on brusque aux bois de justice est un charmeur...
L'homme dont la tête boule enfin sur la Piazzetta est un assassin...
L'homme dont le bourreau brûle les restes était prêtre...


Pietro Leon di Valcamonica, recteur des Convertite à la Giudecca, vient de s'amender aux yeux des hommes. Désormais, Dieu seul, peut l'absoudre.
Retrousser les dessous de vingt-cinq pécheresses qui tentent, par la prière, de retrouver une virginité... Soit!
Mais noyer dans les eaux de la lagune les fruits de ces nauséabondes copulations...
Il y a des limites...quoi!

Après trente trois coups de hache, le bourreau achève le travail au poignard.



Frédéric Barberousse avait une fille, Julie.
Julie émit un souhait: le lieu serait religieux.
Au XVIème, les prostituées et autres pécheresses repenties y suivaient la règle de saint Augustin.
Vous connaissez maintenant le sort de son premier recteur, l'abbé Pietro.
En 1849, l'oratoire et le couvent, restaurés en leur temps par la cassette du richissime marchand Bartolomeo Bontempelli, servirent d 'hôpital militaire avant de devenir, huit ans plus tard, la prison des femmes.

T'en souviens-tu toi la Maria, toi la Tarnowska ?


Fondamenta delle Convertite, Giudecca, il est toujours une prison pour femmes...
Longez donc le rio, vers les treize heures, quand le soleil tanne lourd.
Les fenêtres grillagées vous rendront le concert assourdissant de tables desservies, de couverts évacués...


Oh...j'allais oublier...
Au temps de Pietro Leon, l'abbesse des Convertite, jugée complice, finit ses jours en prison.


http://www.lesyeuxrouges.info/content/view/624/19/

http://www.film-documentaire.fr/Fondamenta_delle_convertite.html,film,25952

lundi 9 novembre 2009

Fable de Venise

Quand Hugo Pratt venait souper au « Graspo de Ua », ce restaurant tapi sous le Rialto, Pavia, l'un des serveurs, lui apportait pastels et crayons. En Petit Prince, il lui demandait un dessin.
Invariablement le père de Corto lui croquait un féminin croupion.
De pétards en popotins, Pavia osa un jour le pourquoi.
« Hugo, tous ces culs ?
Pourquoi pas, je ne sais pas moi, pourquoi ne me dessines-tu pas ton Corto de profil, de face
?

Le maître lui aurait répondu: « Un jour tu seras célèbre parce que tu auras la plus belle collection de culs de Pratt ! ».

Je ne sais si Pavia obtint célébrité.

Voici quelques crayonnés de la nouvelle aventure de Corto à Venise que Pratt ne put jamais achever.

La masse des Maures... les marteaux du Campanile... Ding dong, ding dong, ding dong...






jeudi 5 novembre 2009

Madame Manos


San Michele.
A quelques parcelles de Vera et Igor Stravinsky, cette stèle, redressée il y a peu et toujours étonnement fleurie, avis mortuaire d'une des plus déchirantes tragédies du siècle défunt.

Ils s'aiment à la folie. Alexandre est prince de Grèce. Aspasia est fille d'aristocrate.
Les événements dans un premier temps, la fatalité ensuite auront raison de leur intense passion.

Sur fond de première guerre mondiale, après un assassinat déroutant, une abdication et un exil, Alexandre succède à son père et, malgré l'interdiction de ce dernier, prend, quelques jours après la Toussaint 1919, le coeur d'Aspasia Manos, son unique amour en l'épousant illégalement.
Voilà pour les événements.

Sur fond de reconstruction, après une stupide morsure de singe, un mauvais traitement, onze opérations dont les sept dernières sans anesthésie, après vingt-neuf jours d'une abominable agonie, Alexandre immole à la solitude, quelques jours avant la Toussaint 1920, le coeur d'Aspasia Manos, l'amour de sa vie en crachant sa dernière plainte.
Voilà pour la fatalité.




Aspasia vivra épisodiquement avec sa fille Alexandra, née cinq mois après le mort tragique de son père, à la Giudecca, dans la propriété au magnifique jardin de Caroline et Frederick Eden qu'elle rachète en 1930 à Sir James Horlick.

Elle s'éteint à Venise en 1972 et est ensevelie à San Michele avant de rejoindre l'amour de sa vie dans les jardins royaux de Tatoï.


A Venise, abandonnée sur place, la stèle l'immortalise comme la veuve du Roi des Grecs.
A Tatoï, le marbre l'éternise comme princesse de Grèce.


Puisse-t-elle apaiser son Alexandre qui, le seul de sa dynastie, repose sous une épitaphe qui renonce à le nommer roi de Grèce.


L'amour, la mort.
Quelques jours après la Toussaint 1919, quelques jours avant la Toussaint 1920...




mardi 3 novembre 2009

Noé avait donc quatre fils ?




Début des années nonante...
Je découvre Venise.

Début des années nonante...
Il est là.

Quelqu'un se souvient-il de lui ?

La photo ? Janvier '94, la dernière...
Depuis, sans retour, l'homme a rendu ses guêtres.

Depuis, son souvenir me hante.
Quelqu'un se souvient-il de lui ?

Le banc d'Istrie, au bord du rio di Palazzo émoussant l'angle du Palais Ducal,
une statue de chair glacée par la houle du soleil, brûlée par le souffle de l'hiver...
Les fils de Noé comme seuls compagnons: Sem le charitable, l'impitoyable Cham et Japhet le jean-fesse.
« Noé avait donc quatre fils » aimait à me dire Salomé.

Depuis, son souvenir me hante.
Quelqu'un se souvient-il de lui ?

lundi 2 novembre 2009

“J'espère que mes amours et l'alphabet arménien feront l'hiver”

Voilà ce que répondait Byron à la question"Combien de temps resterez-vous à Venise ?"
Le reste est chose connue.
Le Grand Canal: baignade volontaire, cigare au bec, serviteur en gondole, lanterne à bout de bras, dit-on; involontaire trempette quand il décroche en voulant déflorer le balcon d'une future, dit-on.
L'isola des Lazzaristes et le père Pascal Aucher avec qui il égrappe une grammaire anglo-arménienne.
Les conversazioni au palazzo de la comtesse Albrizzi ou dans les salons de la comtesse Benzoni.
Et puis, les femmes, bien évidemment: Marianna Segati, Margarita Cogni, Teresa Guiccioli...

29 octobre 2009, Sotheby's London: le résultat étourdissant de la vente aux enchères de quinze lettres inédites de Byron montre à l'évidence l'immense attrait jamais émoussé pour le plus grand des poètes anglais.
Estimées à 165.000 euros, les 71 pages manuscrites provenant de la bibliothèque familiale d'Archibald Primrose, comte de Rosebery s'envolent à 309.050 euros.
Politique, religion, littérature, maîtresses...
Le Pélerin y dévoile une partie de sa vie privée entre les années 1808 et 1821.
Il y relate également la mort de son chien favori pour qui il fit élever un caveau où un piédestal surmonté d'une urne antique offre encore à lire cette étonnante épitaphe:

Près de cet endroit
Reposent les restes d'un être
Qui posséda la beauté sans la vanité,
La force sans l'insolence,
Le courage sans la férocité,
Et toutes les vertus de l'homme sans ses vices.
Cet éloge, qui serait une absurde flatterie
S'il était inscrit au-dessus de cendres humaines,
N'est qu'un juste tribut à la mémoire de
BOATSWAIN , un chien,
Né à Terre-Neuve en mai 1803,
Et mort à Newstead Abbey, le 18 novembre 1808.
Related Posts with Thumbnails