mardi 8 décembre 2009

Giustina Rossi

Merzeria, tour de l'horloge.

Comme tous les jours, même le dimanche, la vieille Giustina Rossi se lève tôt.
Comme tous les jours, même le jour du Seigneur, elle maudit ses vertèbres rouillées.
Elle sait bien que l'orage de cette nuit et la pluie fine qui tombe sans discontinuer depuis l'aube ruminent sa carcasse.
Par contre, ce qu'elle ignore encore, c'est que ce dimanche 14 juin 1310, c’est son jour de gloire.
La clameur infernale qui monte de la Merzeria la perturbe dans la préparation de son baccala mantecato dominical.

- A cette heure-ci...Tout ce potin !?! Mais qui peut bien...!?!
Elle se dirige vers la fenêtre. Puis, un gros juron.
En tirant les lourdes tentures, elle a laissé échapper son mortier des mains.
La grosse jatte de pierre avec l'huile et l'ail embrouillés s'en tombe écrabouiller le crâne du porte-drapeau d'une meute armée de fureur.
La conjuration de Baiamonte Tiepolo n'est plus.
Les trois têtes premières tombent.
Badoero Badoer est décapité.
Marco Querini a été tailladé à mort avec ses hommes en déboulant sur la Piazza.
Baiamonte, quant à lui, est condamné à l'exil et au silence.
On dit qu’il persista malgré tout, pendant dix huit longues années, à ruer dans les brancards de la conjuration.
Agacée, la Sérénissime décidera sa discrète élimination.


La vieille Rossi, en guise de remerciement, obtient pour elle et ses descendants la non-indexation de son loyer ainsi que l'autorisation, tous les 15 juin, d'accrocher à sa fenêtre un étendard.

Les autorités rasent le palais de Baiamonte et y élèvent la stèle d’infamie, un nouveau Conseil voit le jour à Venise : celui des ...Dix.
Aujourd’hui la colonne d’infamie poussière au musée et pour se souvenir de l’endroit où elle fut dressée, une sobre patère a été posée dans le quartier de San Polo à l'angle du campo Sant Agostin et de la calle della Chiesa.



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